Contrairement aux sodas et aux boissons industrielles que nous connaissons aujourd’hui, le thé est une boisson dont l’histoire et la culture remontent à plus de mille ans. À travers le Japon médiéval, l’ère Edo, le Japon moderne puis le Japon contemporain, la production et la consommation de thé se sont progressivement intégrées aux coutumes et à la culture japonaises. Ce savoir-faire transmis de génération en génération par les maîtres de thé et les moines bouddhistes a été perfectionné au fil des siècles pour affiner ses saveurs et accroître ses vertus médicinales.
Aujourd’hui, on produit plus de 5 millions de tonnes de thé par an dans le monde. Et comme nous allons le découvrir, sa qualité et son expansion à travers le globe sont fortement corrélées au pays du soleil levant. C’est donc avec passion et plaisir que nous partageons aujourd’hui avec vous la merveilleuse histoire de l’une des boissons les plus emblématiques du Japon : le thé.
L’émergence du thé au Japon
L’année 729 marque la première relation entre le thé et le peuple japonais. En tant que 45e empereur japonais, Shōmu (règne : 724-749), a été invité avec 100 moines à une cérémonie bouddhiste en Chine. On leur a servi du thé vert qui était alors appelé Hikicha no Gi ou Gyocha no Gi, littéralement « offrir du thé à quelqu’un ». Cependant, ils sont partis au Japon sans prendre soin de rapporter quelques graines. Ce n’est que soixante-seize ans plus tard que le Japon a commencé à s’approprier cette plante sur son territoire.
Les premières plantations de thé au Japon
Ce sont les moines bouddhistes Saicho (767-822) et Kukai (774-835) qui ont apporté les premières graines de thé Camillia Sinensis de Chine en 805. Cette importation a donné lieu à la première plantation de thé sur le sol japonais dans la préfecture de Saga (en noir sur la carte), sur l’île de Kyūshū. Cependant, certaines théories affirment que le thé existait déjà à l’état sauvage dans les zones montagneuses. Il était alors appelé Sancha et était utilisé sous forme d’infusion et uniquement à des fins médicales.
Source : Google Maps
A cette époque, le thé était encore très peu connu sur le territoire et seuls les Japonais fortunés pouvaient se permettre de goûter à ce breuvage rare. Mais peu à peu, le thé devient populaire dans les milieux aristocratiques et monastiques. À tel point qu’en 815, l’empereur Saga (786-842) lui-même se fit servir du thé vert par Eichû lors d’une de leurs rencontres au temple Bonshakuji. Néanmoins, le thé a toujours la réputation unique d’être une plante médicinale chinoise. Il n’est pas consommé pour ses saveurs, mais pour ses vertus revitalisantes et pour favoriser l’éveil spirituel.
Le déclin du thé au Japon
Alors que le thé commençait à faire partie de la vie quotidienne et des habitudes des moines bouddhistes japonais, la rupture diplomatique entre le Japon et la Chine et la chute de la dynastie Tang vont conduire le thé à une grande décadence. Bien que quelques jardins de thé aient été plantés au Japon dans la préfecture de Saga, le thé était encore consommé principalement grâce à son approvisionnement en provenance de Chine. L’influence de la Chine chute brutalement en 838 et toute trace de thé disparaît au Japon et il faut attendre la fin de la période Heian (784-1192) pour que le thé soit à nouveau mentionné dans l’histoire du Japon.
Le retour du thé au Japon
Après plus de 300 ans d’absence, le thé fait enfin son retour en 1191 au pays du soleil levant. Les relations diplomatiques avec la Chine étaient réglées, et les moines bouddhistes voyageaient souvent d’une côte à l’autre.
Apparition du thé matcha au Japon
Finalement, un moine a ramené des graines de thé au Japon pour la deuxième fois. Il a ensuite apporté la science nécessaire à la culture du thé matcha que nous connaissons aujourd’hui. Ce moine s’appelle Eisai (1141-1215). Il est aujourd’hui considéré comme celui qui a importé le thé au Japon et qui lui a permis de se développer. Un an avant sa mort, en 1214, il a publié un livre intitulé « Staying healthy by drinking green tea ». Ce livre a connu un énorme succès et a permis de réintroduire le thé dans le quotidien des Japonais, naturellement comme une boisson vertueuse pour la santé, mais aussi, et pour la première fois, comme une boisson distinguée pour ses saveurs. Il faut dire qu’au fil des années, la culture du thé avait eu le temps d’évoluer en Chine et son goût s’était fait sentir.
La démocratisation du thé au Japon
Après la mort d’Eisai, ses disciples reprennent le flambeau. Myoe Shonin (1173-1232), l’un d’entre eux, planta un jardin de thé à Uji, au nord-est de Kyoto. Aujourd’hui encore, cette ville jouit d’une réputation inégalée pour la production de thé. Un autre de ses disciples, Dogen (1200-1253), a importé de nombreux ustensiles que l’on trouve habituellement avec le thé, comme le fouet et d’autres outils utilisés pour faire et boire le thé. Il utilisait ensuite ce matériel pour établir dans son cloître un rituel précis détaillant la manière dont le thé devait être consommé. Sans le savoir, Dogen venait de laisser les premières traces dans l’histoire de la célèbre cérémonie du thé que l’on connaît aujourd’hui au Japon. Un peu plus tard, c’est le moine Musō Soseki (1275-1351) qui va populariser ce savoir et le partager avec un plus grand nombre de personnes.
Année après année, le Japon commence à se réapproprier cette boisson et installe des plantations à Kyoto, Yamato, Musashi et dans de nombreuses autres villes. Le shogun de l’époque se le fait même livrer personnellement et les méthodes de production commencent à se multiplier, le thé se démocratise alors définitivement dans la culture japonaise. L’engouement est tel que le shogun Ashikaga Yoshimitsu possède même ses propres jardins de thé et des concours de thé vert sont organisés durant l’ère Kamakura (1185-1333). Des événements similaires sont toujours organisés au Japon comme nous pouvons le voir dans la vidéo ci-dessous qui nous plonge au cœur d’un de ces concours de roulage de thé qui s’est déroulé en 2015.
L’arrivée de la cérémonie du thé au Japon
Après une telle expansion du thé au Japon, il n’a pas fallu longtemps pour qu’une cérémonie du thé officielle soit adoptée. Le maître de thé Murata Jukō (1392-1502) en serait l’initiateur. Après lui, Takeno Jōō (1502-1555) contribuera à populariser ce processus de dégustation en développant de nombreuses maisons de thé sur le territoire japonais.
Ainsi, jour après jour et année après année, les Japonais ont adopté cette boisson dans leur vie quotidienne. Le thé traverse peu à peu les couches sociales qui le séparaient jusqu’alors des classes populaires.
L’histoire des maisons de thé au Japon
La première maison de thé, le Sakaisenke, apparaîtra sous la direction de Sen no Rikyū (1522-1591), un maître de thé qui a contribué à créer la voie du thé. Mais cette école disparaît peu après car le fils de Sen no Rikyū, Sen Dōan (1546-1607), n’avait pas d’héritier pour reprendre les rênes de cette école. Cependant, le fils adoptif de Sen no Rikyū, Sen Shōan (1546-1614), eut un fils à lui qui donna naissance aux quatre petits-fils de Sen no Rikyū, dont trois héritèrent ou développèrent leurs propres maisons de thé.
– Kōshin Sōsa (1613-1672) maître iemoto(chef qui transmet les enseignements et les méthodes de l’école) inculquant le style Fushin-an à la tête des Omotesenke.
– Sensō Sōshitsu (1622-1697) maître iemoto inculquant le style Konnichi-an à la tête des Urasenke.
– Ichiō Sōshu (1605-1676) maître iemoto inculquant le style Kankyū-an à la tête des Mushakōjisenke.
Ces trois écoles (Omotesenke, Urasenke, Mushakōjisenke) connues sous le nom de San-Senke ont transmis avec ferveur, de génération en génération, les idéaux et les connaissances du thé enseignés par leur grand-père Sen no Rikyū.
D’autres écoles, les ryū, ont ensuite été construites sur le système San-Senke à travers le pays et gouvernées indépendamment par différentes factions. Aujourd’hui, il existe une multitude de maisons de thé différentes qui ont été établies dans tout le Japon.
La perfection du thé au Japon
En 1654, Ingen Ryūki (1592-1673), un moine chinois connu pour avoir fondé l’école Ōbaku du bouddhisme zen au Japon, est invité au Japon pour la construction du temple Manpuku-ji, qui verra le jour en 1661. C’est d’ailleurs encore aujourd’hui le plus grand temple bouddhiste. Lors de son séjour au Japon, Ingen Ryūki partagea avec le peuple japonais une nouvelle technique qui consistait à infuser directement les feuilles de thé au lieu de les broyer. Ainsi, le thé ne devait plus être consommé rapidement. Il a également apporté une théière particulière avec une poignée latérale qui sera l’ancêtre du kyusu. Les théières que nous utilisons beaucoup aujourd’hui pour consommer le thé matcha, comme celle en bois ci-dessous :
Découverte de la technique de « l’ombrage » du thé
En 1707, le mont Fuji connut un terrible tremblement de terre précédant l’une de ses plus violentes éruptions qui eut lieu 49 jours plus tard : la grande éruption de Hōei. Il n’y a pas eu de coulées de lave mais les cendres se sont répandues sur des centaines de kilomètres. Les pluies qui ont suivi ont causé de nombreux dégâts sur tout le territoire comme la destruction des barrages construits pour se protéger des avalanches.
La culture du thé a donc été contrainte de s’adapter aux conditions climatiques. Comme le thé ne pouvait plus être cultivé directement sous le ciel, des abris en paille de riz ont été inventés pour couvrir le thé pendant sa culture. Au moment de la récolte, le thé avait une saveur totalement différente de celle que l’on rencontre habituellement. Le thé ainsi obtenu a été perfectionné par la suite pour donner le thé tencha. La technique de l’ombrage a été inventée à la même époque.
Découverte de la technique de roulage du thé
En 1738, Nagatani Soen, un cultivateur de thé de Yuyadani (situé dans la préfecture de Kyoto) invente une nouvelle méthode de fabrication du thé qui consiste à rouler les feuilles de thé après le processus de torréfaction à la vapeur. Cela permet entre autres de décupler les capacités médicinales du thé. Il créa ainsi le thé Sencha que nous connaissons aujourd’hui.
Découverte du Gyokuro
En 1835, 128 ans après la naissance du thé tencha, Kaki Yamamoto VI améliore la qualité de ce thé en le combinant avec la technique de roulage du thé sencha. Il en résulte la création d’une nouvelle famille de thé : Tamanotsuyu, rebaptisé en 1841 par Eguchi Shigejuro, Gyokuro. Ce thé sera considéré pendant la période Edo (1603-1868) comme le plus noble.
Grâce à ces nombreuses avancées scientifiques en matière de culture, le thé finit par être produit à Edo (ancien Tokyo) et devint une boisson totalement intégrée dans la vie quotidienne des Japonais, et ce à travers toutes les couches sociales.
L’exportation du thé au Japon
En 1858, le shogun Tokugawa Iesada a signé à Edo un traité commercial avec les États-Unis pour promouvoir l’exportation de thé vers ce pays. Le Japon a signé des traités similaires avec la Hollande, la Russie et la France. En 1859, le Japon ouvre ses ports de commerce : dès la première année, pas moins de 181 tonnes sont exportées dans le monde. Le thé devient le deuxième produit le plus exporté au Japon après la soie.
Les conséquences de la chute d’Edo sur le thé
La révolution Meiji, en 1868, entraîne la chute d’Edo, mais aussi un profond déséquilibre dans l’aristocratie japonaise. De nombreuses familles puissantes perdirent beaucoup d’argent et de pouvoir. Sous la direction du quinzième et dernier shogun Yoshinobu Tokugawa, beaucoup de ces familles ont réussi à compenser ces pertes financières en investissant dans le marché florissant du thé.
Malheureusement, face à la production massive de thé, les maisons de thé traditionnelles avaient du mal à joindre les deux bouts. Pour pallier à cette concurrence excessive, l’école Urasenke a décidé d’allier ses maisons de thé avec les grands marchands afin de faire perdurer ce savoir-faire unique. Cette action lui permettra de devenir la maison de thé la plus reconnue du Japon.
Les aristocrates japonais négligent la culture du thé
Le manque de savoir-faire des autres pays dans le domaine du thé les pousse à importer continuellement du thé du Japon. La surproduction de thé que connaît alors le pays va faire chuter drastiquement son prix. Laissant les aristocrates japonais de plus en plus indifférents à ce marché en déclin. C’est ainsi que la culture du thé passe aux mains de paysans moins fortunés qui se contentent de ce que leur rapporte encore cette culture.
La modernisation de l’industrie du thé
La révolution industrielle du XIXe siècle, accompagnée de nombreuses avancées technologiques, n’a pas épargné la production de thé. L’industrie traditionnelle se transforma en de nombreuses usines automatisées, orchestrées par de grands groupes qui n’avaient plus besoin de main-d’œuvre.
Le thé au Japon aujourd’hui
Le thé reste un marché très rentable au pays du soleil levant, mais étonnamment pas autant qu’on pourrait le croire. En effet, le Japon n’est que le 8ème exportateur mondial de thé avec 90 000 tonnes exportées par an.
Il concentre la quasi-totalité de sa production dans les 4 régions que sont :
– Honshu représente à elle seule plus de 40% du thé produit sur le territoire.
– Kyusu produit pas moins de 30% du thé japonais annuellement.
– Shikoku est l’une des plus anciennes régions productrices de thé, elle est aujourd’hui la troisième île la plus productrice de thé au Japon.
– Uji, bien que peu connue, puisqu’elle ne produit que 3% du thé, continue de produire des thés d’ombre d’une qualité exceptionnelle.
Le Japon : un jalon dans l’histoire du thé
Après tous ces siècles passés à perfectionner et à affiner les saveurs du thé, à diversifier sa culture et à le populariser au-delà des mers, il est facile de comprendre pourquoi cette boisson est souvent associée au pays du soleil levant. Bien qu’elle ne soit plus l’un des principaux exportateurs, elle reste un territoire historique qui a contribué à populariser cette boisson au-delà des cercles privés des familles nobles japonaises, mais aussi au-delà des frontières nippones lorsque le reste du monde ne connaissait pas ces saveurs irremplaçables.
Enfin, outre les saveurs de son thé, le Japon a conservé les différentes pratiques artisanales de fabrication des théières traditionnelles. Aujourd’hui, il existe toutes sortes de théières, si vous voulez en savoir plus nous vous recommandons de consulter un guide d’achat de théières japonaises pour déterminer celle qui vous conviendrait le mieux.
Si vous êtes intéressé d’en savoir plus, vous pourrez trouvez sur Kusmitea.com un article exhaustif sur le thé Japonais:Tout ce qu’il faut savoir sur le thé vert du Japon où ils expliquent entre-autres comment est-il élaboré et la différence avec le thé vert de Chine.